En attendant son retour au Tchad et les moyens pour mettre en œuvre son projet de création d’un centre culturel à ETENA, à une vingtaine de kilomètres au sud de N’Djaména, le comédien-réalisateur mène une vie artistiquement de gaieté au Burkina Faso.
Manu est son nom de scène. A 42 ans, ce Tchadien a plusieurs cordes à son arc : comédien, scénariste et réalisateur. Increvable, il est tantôt comédien sur scène, tantôt réalisateur sur un plateau de tournage. « Il est toujours présent, actif, pensif. Ce n’est pas un paresseux et il fait son travail avec amour », témoigne Youssouf Djaoro, l’un de symbole du cinéma tchadien. « C’est une belle âme », renchérit OTH, son ami et assistant sur le film Massoud. Anciennement comédien de la troupe « René Cassin » de l’Association Tchadienne pour la promotion et la Défense des droits de l’Homme (ATPDH), visage flottant de sourire, Manu nous a accueilli à son domicile à Ouagadougou pour une interview. Portrait d’un artiste pluridisciplinaire.
Manu a commencé a aimé l’art depuis sa tendre enfance. Tout petit, il chantait à la chorale. Il se voit prédestiné à la carrière d’un artiste chanteur mais les dieux du micro en ont décidé autrement. Tout de même, il ne s’est pas totalement éloigné du micro. Piqué par le virus du 6e art, le natif de N’Djamena embrasse les arts de la scène. En effet, en 1993, l’association Tchadienne pour la promotion et la défense de Droit Humain se créait. Elle a trouvé la nécessité de sensibiliser les citoyens sur les droits humains en général et ceux des enfants en particulier. Lui et ses camarades, ont mis donc une troupe en place pour la cause de droit de l’homme.
C’est donc en 1993, qu’il fait ses petits pas dans le théâtre. Une carrière prometteuse. Il se forme aux pieds des géants tels que Toingar Keibantar et Gnandadji Eloi, entre autres. Au fil du temps, il devient à son tour un metteur en scène professionnel. Puis son chemin croise celui de El Djamal Ahmat Mahamat, un metteur en scène émoulu du Soudan et d’Egypte. Ce dernier le professionnalise dans l’art dramatique à N’Djaména. Et la mayonnaise a définitivement pris.
Un envol fulgurant
Et la carrière professionnelle commence avec la création des troupes de théâtre et des tournées internationales en Afrique francophone puis au-delà du continent. « De 2002 à 2003, ce n’étaient que des tournées », se souvient-il de cette période glorieuse.
Dans ses pérégrinations, il débarque à Ouagadougou. Dans cette ville carrefour du théâtre, c’est le début d’une autre vie. Une nouvelle expérience. L’artiste se met au travail, en multipliant des rencontres avec des professionnels Camerounais, Français, Burkinabè, etc.
/image%2F1948613%2F20220620%2Fob_9790ce_17991525-1807881059539620-488466000783.jpg)
Membre du Collectif Bénéré du Burkina Faso (un groupe de théâtre d’acteurs indépendants), Manu se révèle au public par plusieurs scènes mais le plus marquant est sans nul doute la pièce « La Tragédie du roi Christophe » jouée au théâtre national populaire de Lion (TNPL) en 2013 : « Ce spectacle m’a le plus bouffé en temps et en énergie. J’ai été élevé en tant qu’acteur à un point élevé de transformation ».
Le cinéma également...
Si le théâtre est une passion pour lui, le cinéma reste pour lui un rêve d’enfance. Tout petit, il fréquentait déjà le vidéoclub à Moursal et au grand marché de N’Djaména, grâce au gain de ses dures labeurs parfois domestiques. Son amour pour le cinéma le conduira à intégrer la première promotion de l’IRIS, devenu ISIS (Ouagadougou) où il a obtenu un Brevet d’Eudes Supérieures en cinéma et audiovisuel en 2007, puis un diplôme d’Ingénieur de travaux cinématographiques et audiovisuels, option Réalisation en 2009. En 2007, alors étudiant, il a rencontré le réalisateur tchadien Mahamat Haroun Saleh au Fespaco de qui il sera assistant sur le plateau du tournage du film « un homme qui crie », en 2009.
/image%2F1948613%2F20220620%2Fob_665041_18156450-1815308612130198-676123556281.jpg)
Manu et son Assistant OTH sur le film Massoud
Mais avant sa rencontre avec Haroun Saleh, il a effectué des stages auprès des baobabs du cinéma africain comme Abdoulaye Dao, Adama Rouamba, etc. En 2016, il fut assistant réalisateur du monument du cinéma burkinabè, Idrissa Ouédraogo. Plusieurs films à son actif dont la plupart sont réalisés à l’étranger, loin de son pays qu’il diabolise en ces termes : « On a eu la chance de naitre dans un pays merveilleux. Le Tchad, c’est vraiment merveilleux car c’est un pays de tous les paradoxes. Et en tant qu’artiste, je profite de ce paradoxe pour la création ». Avant de justifier son départ du Tchad : « Il faut quitter parce que le pays ne donne pas un environnement de créativité. Il y a une rudesse qui fait qu’on ne se sent pas dans l’univers artistique quand bien même qu’il y a des artistes qui vivent au Tchad et qui font du bon boulot.
/image%2F1948613%2F20220620%2Fob_9c1f2a_810.jpg)
Eux, ce sont des résistants. J’ai quitté mon pays parce qu’il y avait un vide, une sorte de no man’s land culturel au Tchad. La culture est reléguée au second plan. La preuve, le ministère de la culture est le plus pauvre financièrement par rapport aux autres ministères. Alors que la richesse d’une Nation se mesure d’abord par sa culture. Il n’y a pas de politique culturelle et c’est donc sûr qu’on n’est pas les premiers à partir. Il y a plusieurs de nos cadets artistes qui expriment chaque jour le besoin de quitter car ils disent qu’il n’y a plus de porte de sortie. Mais quand chez toi devient une tombe, il est normal d’aller ailleurs pour trouver de quoi vivre culturellement. On est dehors ne veut pas dire qu’on a abandonné notre pays, on est dehors parce qu’on aime ce pays » s’égosille-t-il.
/image%2F1948613%2F20220620%2Fob_bbf83a_m.png)
Et de conclure : « Peu importe le régime au Tchad, il doit noter qu’aucun peuple n’a de la valeur si sa culture est bafouée, occultée, reléguée au dernier plan. Nous artistes nous ne fuyons pas la guerre pour être à l’étranger mais nous fuyons la guerre qui est l’ignorance de nos dirigeants. Il faudra que les dirigeants se disent que notre richesse n’est pas le pétrole mais c’est d’abord la culture. La culture est le socle de tout un peuple. Je suis un exilé de l’absence de la politique culturelle ».
Cet article a été publié dans le journal le Baromètre No 026 du 13 juin au 23 juillet 2022.
Masbé NDENGAR