Interdites pourtant, les manifestations contre le régime Déby ont bel et bien eu lieu à N’Djamena, Doba, Moundou, Sarh et bien d’autres villes du pays ce 6 février 2021. Mais réprimées dans le sang.
« Deby dégage », « le Tchad n’est pas une affaire de clan ou de famille », « arrêtez de piller le Tchad », « le Tchad n’est pas une propriété privée », « non au 6e mandat », etc. Qui l’aurait cru ! Et pourtant, c’est avec ces mots hostiles que le peuple a demandé le départ de Deby ! Tôt le matin ce 6 février 2021, des manifestants sont sortis des différents quartiers. Ils ont investi rues, ruelles et artères. Ce sont Les Transformateurs, parti politique de Succès Masra, assoiffés par la justice, l’exclusion et surtout rouges contre le pouvoir à vie. Les policiers, en meute, étaient là, armés jusqu’aux dents. Et les course-poursuites ont commencé. Les gaz lacrymogènes ont été utilisés, sans économie, par les éléments de Groupement mobile d’intervention de la police (GMIP), sérieusement semés par les manifestants. Le ciel, ne n’admettant pas l’escarmouche, devient brumeux. Mais les marcheurs, sous une dose d’adrénaline, sifflets retentissants, les fronts perlant de sueur, ont décidé de résister à l’enfumage gazeux mais aussi à la poussière. Des odeurs piquantes dans une atmosphère étouffante transforment la ville en un foyer incandescent. Une situation digne d’une intifada en plein cœur de la capitale. C’est la même ambiance à Moundou. Dans leurs maisons, ils ont bravé la peur pour sortir nombreux. Dans la rue, ils ont défié les forces de l’ordre pour se faire entendre. Du coup, la peur, la soif, la faim ont été oubliées. Un seul mot d’ordre : non au 6e mandat. 31 ans au pouvoir ! Idriss Deby cumule à lui seul plus que les mandants de Tombalbaye, Habré, Goukouni et Malloum réunis ! Un sacré score de long règne jamais réalisé dans l’histoire moderne du Tchad !
Déby hanté par le pouvoir
Pendant que des arrestations se comptent par dizaines dehors, Deby dans un aveuglement total, organise son investiture au Palais du 15 janvier. Un entêtement qui a emporté bon nombre de dirigeants africains. C’est le cas de son homologue de Blaise Compaoré du Faso. Après 27 ans au pouvoir, ce dernier voulait modifier la Constitution pour s’octroyer un autre bail. Son peuple, hargne, l’a déboulonné par une bourrasque populaire. Il s’est en fuit en Côte d’Ivoire, chez sa belle-famille. Compaoré est l’ami de Déby. Il se raconte qu’il lui avait été d’un soutien considérable dans sa prise de pouvoir en 1990. D’après Rfi, c’est avec un passeport diplomatique burkinabè, que les membres de la rébellion de Deby, sont allés rencontrer les services de renseignement français. On est tenté de dire tel mentor, tel filleul, tel destin. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Il est de toute évidence qu’après plus de trois décennies de gouvernance calamiteuse et boiteuse, les Tchadiens ont soif, non seulement de l’alternance mais du changement. Vu l’état de déliquescence du pays, un changement profond s’impose en urgence. Honteusement, il est situé en bas de l’échelle sur tous les plans, classé 140e sur 140 pays en termes de compétitivité. En ce concerne l’indice de développement humain, il maintient sa place de toujours : 157e sur 157 pays. C’est connu de tous que ce pays dont le taux d’analphabètes est plus de 80% est classé 2e pays le plus misérable au monde. Malgré ses prouesses militaires, le Tchad est classé rouge sur le plan sécuritaire.
Un pays incertain
C’est un pays où tous les voyants sont au rouge avec un avenir incertain. Si le Tchad a un passé douloureux, son présent demeure incertain et le futur se conjugue au conditionnel. Point d’espoir ! Le peuple trime sans prime. Les fonctionnaires sont permanemment en grèves pour réclamer leur dû. Dans d’autres pays, on va en grève pour demander une augmentation de salaire et des meilleures conditions de vie, mais au Tchad, c’est pour réclamer les salaires ponctionnés. En somme, c’est un peuple désespéré qui affronte à mains nues la police anti-émeute armée, pour l’instant, de gaz lacrymogènes. Un peuple dont l’avenir est confisqué pendant plus de trois décennies.
Le social est quasi absent. Tenez ! Le taux d’accès en électricité est de moins de 5%. Et pourtant, le pétrole sort du sous-sol depuis près de 20 ans ! Celui de l’eau potable est d’environ 18% et 6,3 millions de Tchadiens sont en insécurité alimentaire chaque année. Les pauvres alors, leur taux est également trop élevé avec un score de 4,7 millions.
C’est dans ce contexte sans issue que les Tchadiens ont décidé de prendre leur destin en main. Les femmes sont dans la danse, présentant une image interpellatrice : mains sur la tête, seins presque sans couverts pour certaines et d’autres torse nu, arborant les rues de N’Djamena. Ces images sont rares des Tchadiens. Lorsque, dans un pays on arrive à ce stade où les femmes présentent leur nudité, c’est le chaos.
Pour arriver à ses trente ans de pouvoir, Idriss Déby Itno a modifié à maintes reprises la Constitution, allant de quinquennat au sextennat renouvelable. En français facile, il lui reste encore 12 ans avec deux élections à passer en 2021 et en 2027. Et pourquoi pas en 2033 ? Un petit calcul qui donne du tournis. C’est trop long, en un mot.
Masbé Ndengar