Depuis 2015, la secte Boko Haram fait son lit au Tchad, faisant des victimes, veufs, veuves et orphelins depuis cinq ans.
Niamey, le 27 mai 2017, Maison de la presse. Sur l’écran, je suivais attentivement le film « Boko Haram : les origines du mal ». Un film documentaire qui évoque les raisons qui ont donné naissance à Boko Haram. Le chômage, la pauvreté, la corruption, l’injustice, le mensonge des leaders politiques, etc. en sont les principales causes. Qu’en est-il de la situation au Tchad qui dort avec le mal? Les faits sont identiques.
Rebellions, guerres fratricides, dictature sanglante, coups d’Etat, assassinats… Beaucoup d’entre nous ont retenu des leçons de toutes ces folies meurtrières. Mails, le chaos continue de plus bel. Le terrain tchadien accueille exponentiellement des groupes armés et bien d’autres sauts d’humeur. Nous craignons fort que n’ayant pas d’autres alternatives, la jeunesse délaissée, abandonnée et rangée définitivement dans les oubliettes, puisse prendre le raccourci qui est la voie de la résistance armée. Elle se défendra par désespoir de cause, par instinct de survie…
En effet, Mohamed Yusuf, pour revenir au film, le père fondateur de Boko Haram, avait convaincu la jeunesse de la partie nord du Nigeria en se basant sur leur situation sociale. Grand orateur devant l’Eternel, Yusuf avait une facilité incroyable de convaincre. Il est clairement ressorti du film que Deby effectuait le déplacement de Maiduguri pour assister à ses prêches. Le Nord du pays (Nigeria), selon le film, croupissait sous le poids de la misère sévère, était délaissé et oublié par l’Etat fédéral. Les jeunes diplômés sont prédestinés irréversiblement au chômage. « Vous avez la licence, la maitrise, le doctorat et autres diplômes, mais à quoi vous servent-ils » rappelle, en substance, Yusuf à ces jeunes qui viennent de quitter, souvent, dans des prestigieuses universités. Ce discours a convaincu les jeunes qui ont commencé par déchirer leurs diplômes. La situation est similaire au Tchad sinon pire.
Si ça continue, la jeunesse se radicalisera…
Le chômage est galopant et touche tout le pays entier. Pire, le gouvernement, sans mission ni vision, suspend l’intégration des jeunes à la Fonction publique…, même si une déclaration a été faite par le chef de l’Etat d’intégrer 20 mille jeunes à la fonction publique, sonne comme une promesse électorale, à quelques mois des élections législatives et à un an de l’élection présidentielle (2021). A quoi servent donc tous ces diplômés ? À quoi servent ces longues années d’études ? A quoi servent leurs parchemins ? Si l’inquiétante situation se poursuit, il sera de toute évidence que tous ces jeunes diplômés se réserveront le droit de trouver la solution à leur manière, radicale soit-elle.
Quid de la corruption ? S’il s’agit d’une compétition mondiale, le Tchad ne serait pas loin du trophée. Pour beaucoup de Tchadiens, ce fléau s’érige en règle normative de fonctionnement. Toutes les couches sont infectées. Vos connaissances ne sont plus des garanties pour la réussite sociale. « Les relations valent mieux que le diplôme ». Ce triste adage est connu de tous et semble être un code connu par tous. Tout semble fonctionner par « recommandation » avec en toile de fond, les fonds. « Les policiers continuent à arnaquer et racketter la population. L’administration est rongée par la corruption. Pour voir ton dossier avancer, il faut laisser les 10 pourcent », selon le rappeur tchadien, Sultan dans une de ses chansons. Si la corruption est une raison justifiant le combat des membres de Boko Haram, eh bien, elle le sera davantage au Tchad en ce sens qu’il est classé 4e au rang mondial en 2018.
Au chapitre de ces causes, l’injustice occupe une très bonne place. Comme la population de Bornou d’où est originaire Boko Haram, le peuple tchadien a perdu totale confiance en sa justice, laquelle justice à géométrie variable. Meurtres, expropriations, tortures, violences physique et morale, fusillades … tant de maux demeurent sans un début de justice. L’âme des Tchadiens frisonne. Leurs cœurs saignent et ne savent à quel saint se vouer. La justice est rendue au plus offrant. En effet, à Maduguri, toujours selon le film, la police a tiré à balles réelles sur un groupe d’individus qui revenaient des funérailles d’un de leur pour motif qu’ils n’avaient pas porté des casques. Certains en sont morts. La justice ne leur sera jamais rendue. C’est alors que Yusuf appelle la population à se défendre. « Si la police, censée nous protéger, nous tire dessus alors il n’y a plus de solution. Il faut se défendre » appelle-t-il la population à la prise d’armes. Que sait-on du Tchad ? On se rappellera encore pendant longtemps, des massacres de N’gueli. Si on ouvre le feu sur des citoyens à la place mortuaire en train de se recueillir sans que justice ne soit rendue alors, la suite est connue. Si on peut lâchement assassiner les prisonniers, escortés, en transfèrement vers Korotoro, donc entre les mains de la justice alors, chacun a le droit de se défendre. Quand l’escorte de Kabadi peut écraser impunément Dénéyome Jeannette et tirer à bout portant sur Bonheur le tuant devant la justice qui piétine et se dédie, les citoyens, comme ceux de Maiduguri ont le droit de dire NON. A quoi peut-on s’attendre lorsque la police fait une descente musclée au lycée de Walia et à l’Université d’Ardep-Joumal où elle tire à balles réelles sur les élèves et étudiants ?
La radicalisation de la jeunesse ne consisterait pas à aller grossir les rangs de Boko Haram ou de l’Etat Islamique(EI), mais elle sera une révolte sanglante contre l’autorité qui se veut meurtrière. On peut encore éviter cette situation tragique car le peuple a assez souffert des affres de la guerre. Seule la justice sociale et la résolution de tous les malaises suscités peuvent mettre fin à la saignée à venir, auquel cas, l’hémorragie sera difficile à arrêter.
Masbé NDENGAR