Il faut plus de 15h de route pour rallier Sarh à N’Djamena
De gigantesques nids de poule à l’allure de petits puits rendent difficile la circulation. Et cela de N’Djaména à Doba où la route, telle une drogue, est formellement interdite aux femmes enceintes. Celle qui s’y aventure en accouche, peu importe l’âge de la grossesse.
Le développement passe par la route. Cette maxime n’a aucun sens au Tchad alors qu’ailleurs, elle a toute son importance. La plupart des routes bitumées au Tchad sont en cours de dégradation ou sont dans des états de dégradation très avancés. L’axe sud du pays qui va de N’Djamena au Logone oriental est une parfaite illustration. Telle une drogue ou autre substance nuisible, cet axe est formellement interdit aux femmes enceintes. Vous y aventurez et vous accoucherez, peu importe l’âge de votre grossesse. Le goudron est inexistant, faisant place aux crevasses. De gigantesques nids de poule à l’allure de petits puits rendent difficile la circulation. Certains tronçons sont inaccessibles, obligeant de longues et pénibles déviations. Certains enfants colmatent les trous béants contre quelques pièces d’argent. A chacun son business… Les dépassements sont difficiles, obligeant par moment le chauffeur à s’arrêter pour laisser l’autre passer. C’est à pas feutrés que le camion avance. Il faut plus de 15h de route pour rallier N’Djamena à Sarh. Les passagers sont exténués et les conducteurs fatigués à cause des multiples arrêts. Dans pareilles conditions, les accidents se comptent en nombre. Les multiples accidents sur cet axe qu’il convient d’appeler un mouroir peuvent s’expliquer par ces facteurs.
Axe Doba-Bodo : route de l’enfer en saison de pluie
Si l’axe N’Djamena-Sarh peut être considéré comme un castrateur, alors celui de Doba-Bodo peut valablement être appelé la route de l’enfer, sans exagération. Long de 53 km seulement, il faut parfois plus de 3 h de temps pour parcourir cette distance. 10 octobre 2019, aux environs de 16h à Doba, nous cherchons à rallier Bodo. Impossible de trouver un camion à cette heure-ci. « Les camions ne partent plus à Bodo le soir à cause de la route. Ils ne pourront pas s’en sortir la nuit surtout en cette saison de pluie », nous relate un conducteur de taxi-moto (clandoman) qui a lui aussi refusé de nous y amener contre 5 000fcfa. Raison : l’état de la route. « 10 000 fcfa ou rien », se veut plus catégorique, le clandoman. « 10 000f pour une distance de 53 km alors que le billet pour N’Djamena-Doba coûte 12 000f ? ». Il fait savoir que c’est parce que nous n’avons pas connaissance de l’état de la route, que nous discutons trop. Un autre a accepté de nous conduire à 7 500 fcfa. Avant de se mettre en route, il nous conseille de plier notre pantalon jusqu’au genou et de nous déchausser. Nous mesurons aisément ce qui devait nous attendre sur le trajet. Nous nous exécutons. Nous voici en route. Là, ce ne sont pas des crevasses ni de nids de poule mais de véritables trous tout au long de la « route ». Les usagers sont obligés de frayer des ruelles dans des champs riverains pour pouvoir circuler. C’est l’unique solution. Il faut traverser d’interminables et pénibles barrages sous le guide des enfants qui en ont fait un véritable business. Sans l’aide de ces enfants, vous serez à coup sûr embourber. Notre odyssée rime au rythme de « descente de la moto et de remontée sur la moto ». En effet, à chaque barrage, le passager est appelé à descendre de la moto et amorcer la traversée pour permettre au conducteur de traverser également. Là aussi, il faut un coup de main de nos guides qui poussent l’engin jusqu’à la terre ferme.
Contourner par Bedjondo
Les camions de Doba qui vont au marché hebdomadaire (samedi et dimanche) de Bodo sont obligés de passer par le Mandoul (Bedjondo) pour rallier Bodo, soit une distance de plus de 100km, contre 53 km. Et pourtant, c’est de Doba que le pétrole coule depuis 16 ans (2003). Ce pétrole coule donc à moins de 100km de Bodo mais…Arrivé à destination, nous partageons notre douleur avec les habitants. Mais à chaque fois que nous évoquons la question de la route, deux noms reviennent régulièrement : Mbaigoto et Mbainodoum. Quels rôles ces deux fils de Bodo ont-ils joué ? Personne n’ose dire un mot comme s’ils craignaient pour leur vie. « C’est eux notre malheur », nous confie un natif de Bodo sous l’anonymat. Nous cherchons à tout prix à savoir en quoi les deux « Mbai » constituent leur « malheur ». « Ces deux là, ne pensent qu’à eux », relate notre interlocuteur, qui poursuit que la population avait même cotisé pour cela, mais que l’argent se serait volatilisé. Lors de notre séjour à Bodo, un communiqué appelant à la mobilisation pour l’aménagement de la route a été diffusé via la radio locale, mais la population dans son ensemble, a opposé un refus catégorique. Elle refuse de tomber dans le même « trou » pour la 2e fois.
Masbé NDENGAR