Après quatre mois de pression de la rue, l’homme fort de Khartoum cède son pouvoir trentenaire. Un long règne au cours duquel des milliers d’hommes, femmes et enfants ont péri. Faudra-t-il s’attendre à un effet contagieux au Tchad ?
« Quand l’âne veut te terrasser, tu ne vois pas ses oreilles », dit un proverbe mossi (Burkina Faso). Omar Hassan El-Béchir n’a pas vu le danger, si proche, venir. Evidemment, personne n’a cru qu’avec un système de renseignement aussi sophistiqué, l’insurrection populaire, enclenchée le 19 décembre 2018, suite à l’augmentation du prix du pain, allait avoir raison du « wanted » de la CPI ce 11 avril 2019. En cette date de destin inimaginable, El-Béchir n’est plus président. Il est désormais prisonnier.
Fin 2018, le prix du pain est multiplié par trois. Les Soudanais en jugent hors portée de leur bourse. En rappelle, cette denrée de grande consommation avait connu une autre augmentation en 2017, suscitant également la réaction chimique de la population. Si El-Béchir savait interpréter les signes des temps que la nature lui envoie, il devrait, en principe, comprendre que son règne tirait à sa fin et qu’il ne fallait donc pas tirer trop sur la corde. Mais, comme tout bon dictateur, il a fait la sourde oreille. En colère, hommes, femmes et enfants ont investi les rues de Khartoum et des villes des provinces pour exprimer leur ras-le-bol et ce, au prix de leur vie. Plus de onze corps sur le carreau en quatre mois de manifestions, tel est le prix de cette liberté que le peuple soudanais vient d’arracher. C’est désormais le passé. Mais quelle répercussion cette bourrasque populaire aura sur le Tchad voisin ? Probable contagion
Le peuple tchadien ne manque pas seulement du pain. S’y nourrir est un luxe. C’est un pays qui ne présente que le visage de la souffrance, où misère et calvaire se discutent la place. Un pays où tout est lamentation et complainte. Un pays de misère et de galère. Et toutes ces souffrances sont du fait de la méchanceté d’un individu : le président mal aimé, Idriss Deby Itno. On prive le peuple de tout et on lui empêche de pleurer sonttriste sort. Ceci est un motif suffisant pouvant provoquer un mécontentement général.
C’est connu, d’année en année, les conditions de vie des Tchadiens se dégradent. Les fonctionnaires tirent le diable par la queue. Ils vivent presqu’avec un demi salaire qui ne tombe pas à échéance. Et l’inflation des prix des denrées de première nécessité sur le marché porte un coup de grâce aux nombreux foyers. La masse populaire assiste impuissante aux bradages des biens publics et des services de base. La santé est sous perfusion. L’éducation est hors des murs. Les marmites dans les foyers sont refroidies, poussant des enfants à dormir affamés sous les regards inquiets et impuissants de leurs parents désespérées.
Mieux, à la souffrance imposée au peuple à travers les services sociaux, on tue, on massacre les citoyens impunément. Qui d’entre nous pourra oublier le massacre de Ngueli, à la place mortuaire ? Les prisonniers ligotés et assassinés à Massaguet ? Quel crime a commis le chef comptable de la Caisse nationale de prévoyance sociale pour être abattue à bout portant par la garde présidentielle, le 4 avril 2019 ? Tout ceci simplement au nom du principe qu’on « aurait le droit de vie ou de mort ». C’est révoltant.
Chaque jour avec son lot d’asservissement et de provocation à travers de funestes politiques de gouvernance. A tous ces maux et échecs, il faut ajouter le clientélisme, le népotisme, le favoritisme, la corruption… qui sont des marques de fabrique du régime Déby. Ce peuple tchadien qui ne compte que pendant la campagne électorale, est un orphelin qui réclame du pain hors de prix. Une veuve qui revendique la tranquillité et la sécurité. Un plombier, un menuisier, l’écolier, le paysan, le vendeur ambulant… qui ne demandent qu’à vivre en paix, que leurs besoins primaires soient satisfaits. Un point c’est tout.
Même s’il est maintenu dans la souffrance, aucun être humain n’acceptera pendant longtemps de voir sa dignité et son honneur dilués et emportés par le courant de l’injustice. Quel père acceptera-t-il de voir son autorité bafouée devant ses enfants ? Il est de toute évidence que le peuple tchadien, pour peu qu’il soit uni, arrachera sa liberté, il revendiquera sa dignité car l’honneur de tout un peuple ne se bafoue pas infiniment.
Le régime Deby, cette gangrène, doit tirer la leçon du Soudan. Si la Serbie, la Tunisie, l’Egypte, le Burkina Faso, l’Algérie et maintenant le Soudan, avec prouesse ont valsé leurs cyniques et sanguinaires dirigeants, cela est bien possible au Tchad, pourvu qu’on soit animé par une petite dose de folie qui fera monter en nous l’adrénaline pour affronter à coups de morts la DGSSIE (la garde présidentielle).
Masbé NDENGAR