Le gouvernement de Déby organise une Table-Ronde des bailleurs de fonds et un forum pour attirer les investisseurs étrangers et demander de l’aide financière. Ces rencontres en terre française sont devenues une tradition pour de nombreux pays en développement pour mobiliser les ressources en vue de financer leur plan de développement.
Cependant, pour le cas du Plan National de Développement, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une escroquerie organisée sur le dos des Tchadiens.
Tout d’abord, il convient de relever la situation catastrophique dans laquelle le pays se trouve, deux années seulement après la chute des prix du pétrole sur le marché international. Les salaires des fonctionnaires ne sont pas payés à terme échus, les maitres communautaires qui font plus de 70% des enseignants du primaire sont abandonnés sans primes, la bourse de tous les étudiants est brutalement supprimée, les centres de santé ne disposent plus de matériels pour assurer un minimum de service, les enfants meurent de famine, etc. Et au-dessus de tout cela, les libertés et droits acquis de haute lutte sont réduites, les hommes politiques et leaders de la société civile sont jetés en prison sans respect des procédures judiciaires, les calendriers électoraux ne sont pas respectés. Les récents rapports, Panama Paper, ONG SuiSSAID et d’un cabinet canadien montrent la réelle destination des ressources pétrolières et aides des bailleurs : dans les comptes off-shore, dans les immobiliers à l’intérieur et à l’extérieur, pour le couple présidentiel et les caciques du régime. Dans ce contexte, pourquoi ne pas comprendre que les Tchadiens aient renommé le PND en Plan National de Détournement ?
Mais le document PND est en lui-même le signe de la mauvaise gouvernance et du mauvais fonctionnement des institutions. Aucun bilan du précèdent PND 2012-2015 n’a été dressé pour en tirer les conclusions et enseignements. En outre, alors que la première version du PNDU 2017-2021 a été rendu disponible depuis le 4e trimestre 2016, après les consultations et contributions d’experts, ce document a été enlevé du circuit administratif pour être toiletté par les instances politiques pour enlever tout ce qui n’allaient pas plaire à Déby. Elle est ressortie pour être présentée directement à la Table Ronde des bailleurs sans consultation ni du Conseil Economique, Social et Culturel, encore moins de l’Assemblée Nationale bien que cette dernière ait perdue toute légitimité aux yeux de la classe politique depuis juin 2017.
Aujourd’hui, les acteurs politiques, de la société civile ne se reconnaissent plus ni dans le contenu ni dans les plans d’actions prioritaires retenues. Il suffit d’examiner la légèreté avec laquelle ont été traitées les questions de gouvernance politique, de transparence et de participation dans le PND et son plan d’actions pour s’apercevoir que le PND n’est fait ni pour redresser le pays, ni pour le porter sur la rampe de l’émergence. Il s’agit tout simplement d’un prétexte pour mobiliser de l’argent frais.
Il est indéniable que dans ce jeu ce sont les Tchadiens qui en sortiront perdant. Les ressources mobilisées serviront à renforcer le régime. Déjà, contre toute attente, les bailleurs de fonds ont commencé à octroyer de l’aide budgétaire contre les aides projets alors que les conditions minimales de bonne gestion ne sont pas garanties, les analyses conduites par les institutions internationales selon les méthodologies éprouvées (PEFA, Mo Ibrahim, etc.) montrent que les institutions sont faibles et ne peuvent permettre de remplir les conditions d’accès aux ressources suivant les procédures préconisées par la déclaration de Paris. Il se dit en vérité qu’il s’agit pour ces bailleurs, bilatéraux et multilatéraux, de donner de l’argent frais au régime afin d’entretenir son armée et ses forces de répression. Cette mobilisation de l’aide ne fera finalement que creuser le fossé entre les Tchadiens, dont les plus nantis, par les ressources publiques, bénéficient d’une impunité totale. Elle endettera le pays déjà sur une pente très rapide de ré-endettement après les annulations obtenues en 2014 comme bonus pour l’intervention du Tchad au Mali. Le FMI a déjà tiré la sonnette d’alarme sur le risque élevé d’endettement du pays. Et quoi que la stratégie du gouvernement soit de mobiliser de l’aide concessionnelle, la faiblesse des institutions doublées des magouilles autour des contrats de partenariat public-privé ne feront qu’endetter davantage la jeune génération actuelle et future. Que dire d’un gouvernement qui compromet l’éducation de sa jeunesse actuelle, qui détruit les opportunités économiques, qui casse un fonds pour les générations futures mis en place avec l’appui de ses partenaires (Banque Mondiale) et qui l’endettent massivement ?
Si la rente pétrolière est en train de décliner du fait principalement d’une mauvaise gouvernance du secteur pétrolier (l’affaire Glencore en est un exemple), la communauté internationale semble d’accord pour accorder une rente sécuritaire au régime. Ce que cette communauté internationale feint d’ignorer c’est que si le Tchad constitue une barrière à l’expansion de l’extrémisme religieux c’est grâce à sa population. Si les forces tchadiennes engagées sur les fronts sont efficaces c’est encore parce que jusqu’à présent la grogne dans l’armée n’a pas atteint un certain niveau. Mais il convient de s’inquiéter face aux actes barbares qui continuent de se perpétrer sur policiers et militaires (le massacre récent de 11 prisonniers entre les mains de l’Etat par les proches du régime en est un exemple palpable), sur les injustices et les bruits de botte aux frontières. Le gendarme de l’Afrique a en réalité des pieds plus que fragiles et il devient urgent d’ouvrir un dialogue inclusif afin de sauver le Tchad d’une explosion sociale qui profiterait certainement à toute sorte de bandes organisées.
C’est pourquoi, un large consensus est visible aujourd’hui entre classe politique (de l’opposition et même des partis alliés au régime), la société civile et les activistes pour demander à la communauté internationale de refuser le blanc-seing mais de poser des conditions fortes à l’octroi de l’aide au développement. Il faut déjà saluer la position des autorités allemande qui ont clairement indiqué qu’il n’est pas question pour elles d’accorder de l’aide financière sans condition.
Pourquoi la France qui connait très bien les réalités du Tchad ferme les yeux en soutenant urbi et orbi cette table-ronde par la présence à ces assises des institutions de financement et d’universitaires telles que Patrick Guillaumont ?
ABDELKERIM YACOUB KOUNDOUGOUMI
Activiste politique tchadien
Coordinateur du mouvement citoyen PACT (projet pour une alternance crédible au Tchad)