Niamey, le 27 mai 2017. La maison de la presse. Sur l’écran, je suivais religieusement le film « Boko Haram : les origines du mal ». Ce film documentaire évoque les raisons qui ont donné naissance à Boko Haram. Le chômage, la pauvreté, la corruption, l’injustice, le mensonge des leaders politiques, etc. en sont les principales causes. Il existerait peut-être d’autres raisons inavouées que nous ignorons mais celles suscitées semblent convaincantes quand bien même que rien ne justifie qu’on ôte la vie ô combien sacrée aux citoyens. Qu’en est-il de la situation au Tchad ? Les faits sont les mêmes. Les mêmes causes produiront-elles les mêmes effets ? Autrement dit, peut-on s’attendre à la naissance de ‘’Boko Haram’’au Tchad (à la tchadienne) ? Le terrain y est propice avec toutes les conditions réunies. Nous dormons avec le mal. Tentative d’analyse d’une situation qui risque de surprendre bon nombre de compatriotes.
Rebellions, guerres fratricides, dictature sanglante, coups d’Etat… notre pays a connu l’hécatombe. Certains parlent même de génocide. L’histoire de notre pays est connue : très mouvementée. Je ne réécrirai plus cette histoire. De toutes les façons j’en suis incapable. Mais il est de toute évidence que peu d’entre nous ont retenu des leçons de toutes ces folies meurtrières que le pays a connues. La chaotique situation de notre pays continue de plus bel. Si aujourd’hui le terrain tchadien n’est plus propice à accueillir des groupes armés il l’est bien davantage pour d’autres sauts d’humeur.
En effet, Mohamed Yusuf, le père fondateur de Boko Haram, avait convaincu la jeunesse de la partie nord du Nigeria en se basant sur leur situation sociale. Grand orateur devant l’éternel, Yusuf avait une facilité incroyable de convaincre. Il est clairement ressorti du film que Deby effectuait le déplacement de Maiduguri pour assister à ses prêches. Le Nord du pays, croupissait sous le poids de la misère sévère, était délaissé et oublié par l’Etat fédéral. Les jeunes diplômés sont prédestinés irréversiblement au chômage. « Vous avez la licence, la maitrise, le doctorat et autres diplômes mais à quoi vous servent-ils » rappelle, en substance, Yusuf à ces jeunes qui viennent de quitter les académies. Ce discours a convaincu les jeunes qui ont commencé par déchirer leurs diplômes. L’école occidentale n’est plus bien vue et par ricochet la culture occidentale d’où « Boko Haram ». La situation est similaire au Tchad sinon pire. Le chômage est galopant et touche tout le pays entier. Pire le gouvernement myope, sans mission ni vision suspend l’intégration des jeunes à la fonction publique pour au moins pendant trois ans. A quoi servent donc tous ces diplômés ? À quoi servent ces longues années d’études ? A quoi servent leurs parchemins ? Si l’inquiétante situation se poursuit, il sera de toute évidence que tous ces jeunes diplômés se réserveront le droit de trouver la solution à leur manière, radicale soit-elle. L’avenir nous le dira…
Quid de la corruption ? S’il s’agit d’une compétition mondiale, le Tchad ne serait pas loin du trophée. Pour beaucoup de Tchadiens, ce fléau s’érige en règle normative de fonctionnement. Toutes les couches sont infectées. Vos connaissances ne sont plus des garanties pour la réussite sociale. « Les relations valent mieux que le diplôme ». Ce triste adage est connu de tous et semble être un code que personne ne doit oublier. Tout semble fonctionner par « recommandation » avec en toile de fond les fonds. « Les policiers continuent à arnaquer et racketter la population. L’administration est rongée par la corruption. Pour voir ton dossier avancer il faut laisser les 10 pourcent », selon le rappeur tchadien, Sultan. Si la corruption est une raison justifiant le combat des membres de Boko Haram, eh bien, elle le sera davantage au Tchad compte du fait que là-bas, la situation est pourrie. Loin de nous une quelconque prophétie de l’apocalypse mais nous ne faisons que tirer la sonnette d’alarme.
Au chapitre de ces causes, l’injustice occupe une très bonne place. Comme la population de Bornou d’où est originaire Boko Haram, le peuple tchadien a perdu totale confiance en sa justice, laquelle justice à géométrie variable. Meurtre, expropriation, torture, violence physique et morale, fusillade … tant de maux demeurent sans un début de justice. L’âme des Tchadiens frisonne. Leurs cœurs saignent et ne savent à quel saint se vouer. La justice est rendue au plus offrant. En effet, à Maduguri, toujours selon le film, la police a tiré à balles réelles sur un groupe d’individus qui revenaient des funérailles d’un de leur pour motif qu’ils n’avaient pas porté des casques. Certains en sont morts. La justice ne leur sera jamais rendue. C’est alors que Yusuf appelle la population à se défendre. « Si la police, censée nous protéger, nous tire dessus alors il n’y a plus de solution. Il faut se défendre » appelle-t-il la population à la prise d’armes. Que sait-on du Tchad ? On se rappellera encore pendant longtemps des massacres de N’gueli. Si on ouvre le feu sur des citoyens à la place mortuaire en train de se recueillir sans que justice ne soit rendue alors la suite, on la connaitra… si on peut lâchement assassiner les prisonniers, escortés, en transfèrement, donc entre les mains de la justice alors chacun a le droit de se défendre. A quoi peut-on s’attendre lorsque la police fait une descente musclée au lycée de Walia où elle tire à balles réelles et à bout portant tuant les élèves ? Le malaise est très profond.
La radicalisation de la jeunesse peut s’opérer de plusieurs manières. Boko Haram est simplement ici l’expression imagée d’une situation qui pourrait arriver si rien n’est fait pour arrêter l’hémorragie.