Un Tchad nouveau où il fera bon vivre, où l’avenir sera meilleur, c’est le rêve de bon nombre de jeunes tchadiens. Abakar Abdraman Mahamat Zeni est de ces jeunes. Passionné de la lecture et de la littérature il vient d’inscrire son nom dans le cercle des écrivains tchadiens. Il touche du doigt sans langue de bois l’un des principaux maux qui rongent son pays le Tchad : la baisse de niveau scolaire. Originaire de Moussoro, Abakar Abdraman Mahamat Zeni a vu le jour en 1995 dans la capitale tchadienne. Titulaire d’un Bac série A4 qu’il a obtenu avec mention « Bien » en 2015, le jeune de 22 ans et mordus des films documentaires et d’enquêtes poursuit actuellement ses études en Droit à l’université de Nantes en France. Par la publication de son tout premier essai intitulé « la baisse de niveau scolaire au Tchad », le jeune auteur veut par-là sensibiliser et conscientiser car, selon lui « chacun a une part de responsabilité». Très soucieux pour l’éducation dans son pays, Abakar, à travers son œuvre propose des solutions adéquates pour pallier la baisse du niveau scolaire au Tchad qui constitue un « handicap pour le pays et engendre une baisse de ressources intellectuelles ». C’est une croisade qu’il livre sans merci contre « l’évolution stagnante du système éducatif national ». Quant à la crise qui secoue son pays depuis un certain temps, l’amoureux du ballon rond tire à boulet rouge sur le système corrompu de N’Djamena. C’est sans réserve ni gène que le jeune et talentueux écrivain a répondu à nos questions. Lisez plutôt cette interview.
C’est la première fois que vous accordez une interview au blog « Tchad Révolution ». Pourriez-vous vous présenter à ses lecteurs ?
C’est la première fois et Tchad Révolution est aussi le premier blog Africain qui s’est intéressé de loin à mon livre. Très jeune, j’ai été envoyé dans une école coranique avant de finir mes études primaires au Lycée Mixte Solidarité de Diguel à N’Djaména. J’ai ensuite poursuivi mes études secondaires au Bénin, au Sénégal puis au Tchad où j’ai décroché mon baccalauréat série A4 avec une mention Bien en 2015.
Passionné de la littérature, du football et d’innovation dans l’éducation, je suis aussi l’un des membres créateurs de l’association « Union des Jeunes Créateurs et Futurs Entrepreneurs du Tchad », qui a été créée en 2014 au Tchad et organisatrice du concours « Génie en Herbe » lequel a regroupé les meilleurs élèves de la capitale. J’occupe aussi le poste de président de la commission chargé de l’éducation du consommateur au sein de l’association « Dynamique Citoyenne pour les Droits du Consommateur au Tchad ». Actuellement, je me suis inscrit en première année de Droit à l’université de Nantes en France.
Vous venez de publier une œuvre sur la baisse de niveau au Tchad. D’où vous est venue l’idée d’aborder un tel sujet ?
J’ai eu l’idée d’écrire ce livre depuis 2014, lorsque j’avais participé à un concours de dissertation sur le thème : « La baisse du niveau scolaire au Tchad », organisé par le complexe scolaire Bahar (appelé antérieurement Tchado-Turque). Mais aussi, lorsque notre association a organisé le concours « Génie en herbe » en 2014 regroupant tous les meilleurs élèves de la capitale, j’ai senti tout de suite l’effet productif que ce genre d’initiative pourrait engendrer pour l’éducation nationale. Ainsi, ces deux évènements sont en quelque sorte pour moi, la source de cette œuvre qui est mise à la disposition de mon pays, mais aussi de la génération future avec des solutions adéquates pour pallier ce problème.
Nous sommes à une époque où les gens semblent perdre le goût de la lecture et à la rédaction alors où avez-vous puiser cet amour d’écrivain ?
Passionné de la lecture et de découvertes, j’essaye toujours d’occuper mon esprit par la lecture, loin des oui dires et des fakes news. Par la lecture, nous apprenons des informations fiables et l’on peut améliorer également notre capacité à pouvoir transmettre un message captivant pour sensibiliser ou conscientiser. C’est là que je puise cet amour d’écrivain. Les livres des genres autobiographiques et les essais sont mes favoris car, lorsque je les lis, j’ai l’intention de vivre l’expérience décrite et d’apprendre la leçon donnée. A l’exemple de l’essai les 48 lois du pouvoir de Robert Green ; Best-seller, ou l’autobiographie du fondateur de Nike, Philip Knight L’art de la victoire, ou encore celle de Amadou Hampaté Bah L’étrange destin de wangrin.
Selon vous, quelles peuvent être les causes de cette baisse de niveau ?
Nous pouvons dire que les causes de la baisse de niveau scolaire sont variées et se situent tantôt chez les élèves et les parents, et tantôt sur l’Etat et les enseignants ou l’administration scolaire. Comme je l’ai indiqué dans mon livre, chacun a une part de responsabilité quelque part.
Lorsqu’on entend certains leaders s’exprimer et voir certains documents administratifs de haut niveau aux qualités médiocres (fautes d’orthographes et de grammaires, des tournures inappropriées, etc.). Ne pensez-vous pas qu’il y a un laisser-aller de la part des responsables qui devaient donner de bons exemples ?
Bien sûr. Je pense comme la plupart des Tchadiens que ce niveau médiocre de ces sois disant leaders qui jettent la poudre de perlimpinpin sur le reste de la population est l’une des conséquences directes de la baisse de niveau scolaire. Par ailleurs, cette baisse de niveau est un handicap pour le pays, car ce dernier a des cadres et administrateurs ou des diplômés intellectuellement bornés. La déperdition scolaire engendre également une baisse de ressources intellectuelles et surtout du niveau général de la population en matière d’éducation à la citoyenneté.
D’aucuns affirment que le système éducatif tchadien est à l’agonie. C’est également votre avis ?
Malgré la mystification de la baisse de niveau par les acteurs du système éducatif, l’école tchadienne ne se trouve pas totalement à l’agonie, ce qui laisse espérer qu’une piste de solutions est envisageable pour lui permettre de lutter contre ce phénomène qui tue à petit feu. A cet effet, il faut une prise de conscience de tous les acteurs.
Les faits ont montré que les bourses sont souvent accordées aux étudiants non méritants pour des études à l’étranger. On assiste aussi au remplacement des étudiants admis aux concours par ceux qui n’ont pas concouru. Il y a également le recrutement des enseignants non compétents… n’est-ce pas des primes à la baisse de niveau ?
L’accord de bourses aux étudiants non méritants se conclue dans une atmosphère de gagnant-gagnant, c’est-à-dire que ces bourses sont payantes. Donc, nous pouvons parler là de la corruption et du favoritisme en milieu scolaire ou universitaire. Comme je l’ai souligné plus loin dans mon œuvre : « Les recrutements aux concours d’entrée dans les écoles de formation des enseignants sont biaisés au point où les trafics d’influence font place à la compétence du personnel enseignant. Alors, l’enseignement devient un métier sans vocation et une nécessité de survie ».
En tant qu’écrivain, que pensez-vous de la suppression des bourses des étudiants de l’université de N’Djamena et de certains à l’étranger ?
Je vais essayer de répondre à cette question en tant qu’étudiant de l’université de N’Djamena et non pas comme un étudiant en Europe. Il est bien vrai que notre pays traverse une période difficile, celle de la crise économique, mais cela ne justifie pas la suppression des bourses des étudiants, ce n’est pas suffisant comme excuse. C’est inconcevable, tout simplement inacceptable.
Les primes de recherche des enseignants chercheurs ont été supprimées. Pensez-vous qu’un pays peut se développer sans recherche ?
Les primes de recherche des enseignants chercheurs sont censés encourager la recherche qu’elle soit scientifique ou littéraire. C’est ce qui permet de faire évoluer le domaine de l’invention, de l’enseignement littéraire et de la recherche scientifique. Alors, la suppression de ces primes pourrait décourager les enseignants chercheurs qui se comptent du bout des doigts dans notre pays ; c’est ce dont nous devons chercher à éviter en encourageant ces enseignants.
Vie chère, misère, réduction des salaires des fonctionnaires, arriérés des salaires, grèves, famines sur fond de la crise économique avec son corolaire des 16 mesures. Que vous inspire la situation sociale de votre pays le Tchad ?
Eu égard à la cherté de la vie au Tchad, à la misère actuelle qui sévit, aux conflits intercommunautaires, aux grèves continues des enseignants, nous pouvons admettre et dire sans vergogne que La situation du pays est lamentable et catastrophique. Lamentable vu la façon dont il est dirigé. Nous pouvons parler là de la mauvaise gestion, de l’injustice, de la corruption, du népotisme et du favoritisme au sein de notre pays. Catastrophique, car cette crise économique montée de toute pièce est aujourd’hui source de malheur, de maladies et des querelles dans les foyers.
Enfin, je n’ai pas de solutions magiques à prodiguer pour sortir de ce malheur, la mentalité de la jeunesse en particulier ou du citoyen tchadien en général a changé et a besoin d’un changement. Le pays crie chaque jour au secours et demande du changement mais les politiques préfèrent se boucher les oreilles. Si ce n’est la cupidité, l’hypocrisie, l’envie de vouloir s’accaparer de tout de l’homme et de vouloir tout contrôler, manipuler, nous vivrons dans un monde meilleur. Dans un monde où l’éducation sera la priorité de tous et dans un monde où les inégalités sociales et l’injustice seront bannies.
Quels rôles un écrivain comme vous peut bien jouer dans un contexte difficile comme celui que traverse le Tchad ?
Je pense que tout écrivain peut jouer d’une façon ou d’une autre un rôle crucial dans un contexte difficile comme celui que traverse le Tchad. Personnellement, je crois apporter ma pierre d’édifice au développement de mon pays à travers mon premier livre qui propose de solutions indispensables pour lutter contre l’évolution stagnante du système éducatif national.
Quel avenir pour la littérature tchadienne ?
La littérature tchadienne est encore vive lorsqu’on regarde le nombre des enseignants littéraires et d’écrivains tchadiens. Malgré que le corps politique essaye de déstabiliser pour ses propres intérêts, la jeunesse tchadienne orientée vers la littérature, le monde de la pensée de tous les temps et de tous les grands scientifiques, les écrits de Maoundoé Naindouba, d’Isaak Tadembé ou encore de Joseph Brahim Seïd ne seront jamais effacés et seront toujours considérés comme sources de réalités de notre société. Ce qui fait la force de la littéraire contrairement à d’autres domaines, c’est sa capacité à pouvoir transmettre un message de conscientisation, à sensibiliser, à prononcer un discours captivant de sagesse et de morale, mais aussi, c’est cet engagement, cette aptitude à dénoncer le "dénonciable" sans frémir qui fait sa grandeur. La littérature tchadienne n’est pas totalement à l’agonie non plus, mais pour son épanouissement et son avenir, la jeunesse doit être formée avec une base solide, en luttant contre la baisse de niveau scolaire. Ensemble, nous pouvons y parvenir.
Interview réalisée par Masbé NDENGAR