Dans le cadre de la mission que nous nous sommes assignée et
étant engagé dans la quête permanente du bien- être et la
défense des droits du consommateur de notre pays, le Collectif Tchadien contre la Vie Chère (CTVC) a jugé judicieux d'effectuer une descente au marché à mil le 22 mars 2017 pour une investigation. Il s’agissait pour nous d’interroger les commerçants sur ce qui les motive à augmenter les prix des marchandises de façon vertigineuse ces derniers temps.
Suite à ces investigations, nous étions tombés sur des cas
flagrants de l’arnaque que font subir les paisibles commerçants
par la communauté urbaine de N’Djamena, qui a leur tour,
répercutent cela sur les prix des marchandises. Et en fin de compte, c’est nous consommateurs, qui payons les pots cassés. Il a été décidé d’animer une conférence de presse conjointe avec le collectif des commerçants du marché en date du 08 avril à la bourse de travail en vue de protester contre la
hausse des prix de droit de place d’une manière exagérée.
Juste après la sortie médiatique, le DG de l’ANS m’a téléphoné
(sous le numéro (+235) 66 29 35 89) pour me dire ceci :
- pourquoi as-tu animé une conférence de presse demandant
aux commerçants du marché à mil de fermer les boutiques pour
deux jours sans aviser les plus hautes autorités ?
Selon lui, je suis en train de mettre l’économie tchadienne en
mal et par conséquent, je dois prendre des dispositions
nécessaires pour surseoir à cette action au cas contraire je
payerai les pots cassés tout seul.
Je lui ai fait savoir que je ne peux obtempérer à ses injonctions.
Dans la nuit du 10 avril 2017 à 23h 17minutes c’est au tour de
son proche collaborateur, de faire sonner mon téléphone(sous le numéro (+235) 66 20 95 52) et me signifie que son DG voudrait nous rencontrer avec quelques représentants des commerçants en vue d’écouter les motifs de la protestation et jouer l’intermédiaire aux fins de prendre langue avec la mairie pour résoudre ce différend. L’arme la plus efficace dans le monde c’est le dialogue et je saurais me voir refuser la main tendue pour un dialogue.
C’est ainsi que le 11 avril 2017, en compagnie du chargé de
mobilisation et de la communication, j’avais convoqué à la bourse du travail les commerçants pour la désignation de leurs représentants. À bord de deux véhicules, nous avons embarqué pour ce prétendu dialogue. A notre arrivée à la Direction Générale de l’Agence Nationale de Sécurité, un Monsieur est chargé de nous conduire au bureau où se trouvait Monsieur
Yadia Deka qui est chargé de nous auditionner.
Après l’entretien collectif accordé par Monsieur Yadia Deka, son
proche collaborateur, à notre équipe représentée par 08
personnes composées 06 commerçants et 02 du CTVC le chargé de la communication et moi-même, nous étions sur le point de prendre congé. Mais Monsieur Yadia Deka qui nous avait quittés pour faire le compte rendu de notre entretien est revenu
vers nous pour me signifier que le DG de l’ANS Monsieur Ismat
Issaka Acheik avait besoin de moi, en tant que Président, pour
quelques précisions. Je l’ai suivi dans une chambre que l'on atteint en traversant le bureau du DG. Ce dernier et son adjoint s’y trouvaient et Monsieur Ismat Issaka Acheik me fait des remontrances en des termes non équivoques et menaçants :
- « pourquoi persistes-tu à vouloir inciter les commerçants à la
désobéissance ? »
- « penses-tu que notre service fait preuve de laxisme en te
laissant mener tes actions déstabilisatrices et subversives ? »
Je leur ai calmement fait savoir que conformément à la mission
que s’est assignée le CTVC, nous avons menée des investigations au marché à mil pour nous enquérir des causes profondes de la surenchère des produits de grandes consommations. Grande a été notre surprise de constater que
les commerçants, que les communs des tchadiens à tendance à qualifier de véreux et de spéculateurs, sont eux aussi victimes de l’administration et plus précisément de la mairie centrale.
Suite à ces investigations, le constat sur le terrain révèle que
les commerçants du marché à mil font l’objet d’une arnaque
sans pareil, d’un autre âge par la communauté urbaine de
N’Djamena. Face à ces pratiques maffieuses auxquelles
s’adonnent les agents de la mairie centrale et qui constitue un
délit intolérable dans un pays de droit, nous avons voulu en
savoir plus. Pour comprendre ce phénomène, nous avons
entrepris des démarches auprès de la mairie, mais en vain.
Mais, comme nous nous sommes heurtés à un mur de silence,
nous avons décidé de prendre l’opinion nationale à témoin.
Face au refus manifeste de la Mairie de nous recevoir, qu’il a
été décidé la tenue d’une conférence conjointe CTVC-
Commerçants qui s’est soldée par la fermeture des boutiques
du 10 au 11 avril 2017. Notre intention n’était nullement de
défier l’autorité de l’Etat, mais plutôt contribuer à rétablir la
vérité et éclaircir une fois pour toute cette préoccupation des
commerçants qui a une répercussion directe sur les
consommateurs que nous sommes.
Mes interlocuteurs m’ont fait alors remarquer :
- Tu connais bien le droit mais pourquoi ne nous as-tu pas
prévenus avant d’organiser la conférence de presse ?
Surpris par cette question, je leur ai rétorqué avec assurance :
- A ma connaissance, l’organisation d’une conférence de presse ne nécessite pas d’informer au préalable les autorités.
C’est lorsqu’on organise une manifestation qu’on est tenu d’en
informer les autorités afin qu’elles prennent des dispositions
sécuritaires pour d’éventuels débordements.
Ma réponse n’a pas visiblement plu au DG de l’ANS qui en a profité pour me rappeler que la derrière fois, il avait proféré des
menaces à mon endroit et m’avait enjoint de garder le silence. Il
m’a menacé de ce que je me suis entêté pour en faire un témoignage à la radio Fm-liberté. Il m’a alors dit que c’est une attitude suicidaire que j’ai eue et qu’ainsi, il exaucera mon désir. J’ai alors compris que mon sort était scellé. Le DG, imbu de son autorité, émit un appel à partir de son portable. Il parlait en sa langue vernaculaire à un colonel qui ne tarda pas à débarquer
avec ses hommes.
- Prenez-le, il est à vous ! leur va-t-il dit en promenant sur moi
un regard méprisant.
L’homme m’a intimé l’ordre :
- Suis-nous !
Que pourrai-je faire d’autre que d’obéir. On m’a enfoncé une
cagoule en utilisant ma chemise. On me fit entrer dans un car
blanc stationné juste à l’entrée du hall principal sans immatriculation. Mes geôliers m’ont ordonné de me coucher à plat ventre entre quatre (04) ou cinq (05) hommes en tenue. J’étais comme un prêtre lors de son ordination. La seule
différence était que même avec l’invocation du nom de Jésus,
personne ne pourrait pas m’extraire des mains des sbires dont dépendait désormais ma vie de défenseur de droits humains.
Le car blanc tourna presqu’en rond et au bout d’un quart d’heure, je me retrouvai, menottes aux poings et chaines aux pieds dans une cellule obscure et lugubre qui abritait déjà sept (07) détenus dont le physique en disait long sur les souffrances endurées. J’ai compris dès lors que j’étais en enfer.
Après trois jours de détention durant lesquels je me contentais
d’un litre et demi d’eau pris directement au robinet que l’on
mettait à la disposition de chaque prisonnier, j’avais perdu toutes mes forces. La faim me tenaillait et je ne pouvais m’empêcher de penser à ces tchadiens qui, même en liberté, manquent de quoi mettre sous la dent à cause de la cherté de la vie. Au bout du troisième jour, aux environs de minuit, les geôliers me firent sortir pour la première séance de torture.
Ce que j’ai subi, même votre pire ennemi ne saurait vous le souhaiter. Mes mains menottées au dos supportaient mal le
poids d’une chaussure rangers qu’un des tortionnaires m’avait
posé sur les mains. Un autre était chargé de maintenir mes deux
épaules pour me tenir stable. Un troisième, plus cruel, enveloppa ma tête jusqu’au coup d’un sac plastique contenant du piment moulu ou une substance semblable. Au fur et à mesure qu’il remuait le sac en plastique, j’étouffais. L’effet du « piment » en poudre dans les yeux, les oreilles et la bouche me faisait suffoquer. Au bout d’un temps, c’est comme si j'allais pousser le dernier soupir. Constatant que je n’en pouvais plus, mes tortionnaires observèrent une pause et ôtèrent le sac en plastique de ma tête. Ils me permirent de me laver le visage.
Quelle douleur ! Je n’avais jamais autant senti mal. Les yeux
larmoyants, je toussais. Commença alors l’interrogatoire.
- Qui te finance ?
L’enquêteur parlait dans un arabe qui m’était incompréhensif.
Et il fallait qu’un interprète reprenne ses propos en arabe local
pour que je comprenne l’essentiel.
- Quels sont les blancs qui te financent, français ou américains ?
- Qui de Kebzabo, Laokein,Yorongar et Dadnadji te financent ?
Je ne répondais invariablement personne, les ressources de
l’Association proviennent des cotisations de ses membres et
sympathisants.
- Tu mens. Où trouves-tu autant d’argent pour organiser des
actions ? Ce n’est pas avec vos maigres cotisations que vous
menez des actions instantanément. Il suffit de citer les noms de ceux qui financent le CTVC pour que l’on mette fin à ta torture et que tu recouvres la liberté si non… Ma réponse fut la même. Et mes bourreaux me soumirent à une autre forme de torture. Cette fois-ci, ils introduisent un tuyau dans ma bouche et ouvrirent un robinet à haut débit. Mon ventre s’enfla comme un ballon et l’eau sortait de tous les orifices, la bouche, l’anus, les narines. Les questions reprirent avec plus d’intensité. C’est aux
environs de 04h du matin que mon supplice s’arrêta. La loque humaine que j’étais devenu a été introduite à nouveau dans la
cellule. La seconde séance de torture eut lieu le 21 avril 2017 avant notre transfèrement vers la coordination de la police, en
compagnie de deux camarades prisonniers du mouvement
citoyen (IYINA) à savoir Nadjo Kaina et Bertrand Solo Ngandjei.
L’épée de Damoclès était suspendue sur ma tête : il m’a été
formellement interdit par mes tortionnaires de relater devant les
juges ce que j’ai subi. Aucun témoignage quelconque aux
hommes des médias nationaux et internationaux, à propos de la
torture subie ne devrait provenir de moi. Et si jamais je m’entêtai à le faire, je me verrai couper la tête au prochain enlèvement.
Rien qu’à y songer aujourd’hui, je revois tout le calvaire et ne peux résister à me poser cette question. Quel crime ai-je commis pour être traité de la sorte dans un pays qui se dit pourtant démocratique ? Quatorze (14) jours aux mains de ces bourreaux dans une geôle située à proximité de l’aéroport à en croire le bruit assourdissant que nous entendions à chaque
décollage et atterrissage. Ces 14 jours en cellule enchainé et
livré aux bourreaux de l’Ans furent pour moi une éternité. Cela
m’a permis de voir l’autre visage d’un régime qui prône haut et
fort la démocratie mais qui maltraite les citoyens à qui les
libertés fondamentales sont confisquées par des bourreaux qui
pratiquent les tortures du temps de la DDS. Comment admettre, qu’à cause de leurs idées, des citoyens soient torturés non loin de là où atterrissent tous les jours des hommes et femmes qui croient venir dans un pays considéré comme un ilot de paix ?
N’Djamena le 09 mai 2017
Le Président DINGAMYANAL Versinis
Source : le visionnaire